Fluoite bicolore - La Cabana - Coll et photo CL. François.
" La
chaux fluatée est, parmi toutes les substances pierreuses, celle
qui s'est prêté davantage aux effets variés de l'action
colorante des oxydes métallique. Aussi, l'illusion que tend à
produire la ressemblance entre les teintes qui ornent ces différents
cristaux avec celle des pierres appelées gemmes, a-t-elle suggéré
les noms de faux rubis, faut saphir, fausse émeraude etc., que
les anciens minéralogistes lui avaient donnés suivant la
diversité de ses teintes. " La fluorine CaF2, ou spath fluor, est le fluorure naturel le plus important, présente notamment dans de nombreux filons associés souvent aux roches de composition granitique ainsi que dans de nombreux gisements sédimentaires. La fluorine se présente généralement avec des formes cristallines très bien exprimées. Ce minéral est incolore à l'état pur, car il n'absorbe pas les radiations visibles (le spectre visible est approximativement compris entre 400 nm et 750 nm), étant remarquablement transparent depuis l'ultraviolet (125 nm, c'est-à-dire au-delà de la limite de transparence de l'air) jusqu'à l'infrarouge moyen (10 microns), d'où son utilisation fréquente comme matériau optique. L'excellente qualité optique de la plupart des échantillons naturels de fluorine permet d'observer une grande diversité de coloration, parfois associée à des propriétés de luminescence sous l'excitation de rayons ultraviolets ou de rayons X, ainsi que lors du chauffage d'un échantillon (thermoluminescence). La grande sensibilité des fluorures aux rayonnements liés aux éléments radioactifs va favoriser la formation de couleurs très variées, en relation avec la présence de centres colorés piégés sur différentes impuretés présentes dans le réseau cristallin de la fluorine.
Comme les fluorines naturelles montrent une grande variété de couleurs, dont une propriété remarquable est d'être facilement détruites par chauffage ou même par simple action de la lumière du jour, l'origine de la coloration des fluorines a fait l'objet depuis très longtemps de nombreuses discussions. Les théories les plus variées ont ainsi été avancées : présence de chromophores organiques, d'impuretés variées, de colloïdes métalliques et de centres colorés, associés ou non à des impuretés. La théorie " organique " est très ancienne car l'analyse chimique des fluorines naturelles montre très souvent la présence de matières organiques. La décoloration des fluorines naturelles à haute température, déjà mise en évidence par De Saussure, a été ainsi expliquée par une décomposition de ces matières organiques. Celles-ci sont en fait concentrées dans les inclusions fluides et ne sont pas localisées au sein du réseau cristallin, et l'étude des spectres d'absorption optique des fluorines naturelles a permis d'écarter définitivement cette théorie. Berthelot, dès 1906, avait montré que les matières radioactives permettaient de colorer de façon efficace les fluorines. Cependant, par rapport à d'autres halogénures alcalins naturels, dans lesquels les défauts liés à une irradiation ont été compris dès les années 1960, les défauts créés par irradiation dans les fluorines naturelles sont toujours associées à des impuretés, ce qui en complique la détermination. C'est en fait la comparaison avec des cristaux synthétiques qui a permis de déterminer de façon non ambiguë l'origine de la coloration des cristaux naturels en montrant l'influence de certaines terres rares et d'autres impuretés dans l'origine de la coloration. Cependant certains mécanismes de coloration, comme ceux qui sont à l'origine des fluorines naturelles jaunes, n'ont pu être reproduites dans les cristaux synthétiques.
Exemple classique d'un réseau cubique faces centrées, la fluorine a été un des premiers minéraux dont la structure a été déterminée par William H. Bragg dès 1914. Cette structure peut-être décrite comme un empilement cubique faces centrées d'ions Ca2+ qui délimitent des cavités tétraédriques occupées par les ions F- (Figure 1).
-- Un exemple
simple de centre coloré : le centre F. Lorsque l'on irradie un
cristal d'halogénure alcalin avec un rayonnement de haute énergie
(par exemple, rayons X ou gamma, faisceau d'électrons...), on observe
rapidement une coloration de l'échantillon à l'endroit où
il a été irradié. Dans le cas du chlorure de sodium,
le sel gemme, une coloration jaune apparaît ainsi. Cette coloration
est réversible, car si on chauffe le cristal, celui-ci se décolore
en émettant de la lumière (thermoluminescence). L'origine
de cette coloration se trouve dans la formation d'un centre F, qui représente
une lacune de chlore qui a piégé un électron lors
de l'irradiation, électron arraché à d'autres défauts
ou à une impureté formant ainsi un trou positif. Cet électron
célibataire possède différents niveaux d'énergie
qui vont permettre des transitions à l'origine d'une absorption
spécifique de la lumière. Lors du chauffage, l'électron
va quitter ce piège instable pour être piégé
sur un des trous positifs créés lors de l'irradiation.
--
la couleur mauve ou violette. C'est probablement la couleur la plus fréquemment
rencontrée dans la plupart des gisements de fluorines. Elle est
liée à la présence d'une bande d'absorption intense
et large située au milieu du spectre visible, aux alentours de
570 nm (Figure 2). Des bandes d'absorption de plus faible intensité
se situent également dans la partie ultraviolette du spectre, et
n'influent donc pas sur le processus de coloration ; elles sont liées
à la présence d'autres centres colorés (voir plus
bas). Cette bande d'absorption intense est en fait lié à
la présence de colloïdes de calcium de taille comprise entre
30 et 40 nm, finement dispersés à l'intérieur du
réseau de la fluorine. La variabilité des couleurs observées,
depuis le bleu intense jusqu'au mauve foncé, est à relier
à des colloïdes de taille différente, la position du
maximum d'absorption se déplaçant vers des longueurs d'onde
plus grandes lorsque la taille des colloïdes augmente. La relation
avec des inclusions radioactives est souvent mise en évidence par
une distribution irrégulière de la couleur, souvent décrite
comme indiquant la présence de halos pléochroïques.
C'est notamment le cas de minéraux contenant de l'uranium qui va
amener une irradiation du cristal par des rayons alpha sur une profondeur
de quelques microns. La formation de colloïdes de calcium indique
une désorganisation importante du réseau cristallin : lorsque
leur concentration est importante, comme dans le cas de la variété
anthozonite que l'on rencontre fréquemment au voisinage des gisements
d'uranium, il se dégage au broyage du minéral une odeur
de fluor caractéristique.
-- la couleur jaune. Autre coloration caractéristique des fluorines, notamment dans les gisements de basse température, la couleur jaune est liée à un spectre d'absorption très différent des précédents. En dehors de deux faibles bandes d'absorption situées dans le proche UV, le spectre montre surtout la présence d'une bande d'absorption unique, centrée dans la zone violette du spectre vers 430 nm comme on le voit dans les fameuses fluorines de Valzergues (Aveyron), mais aussi dans de nombreux autres gisements comme ceux de l'Illinois (Figure 5). La présence d'une structure complexe superposée, composée de huit raies de faible intensité et liée aux vibrations de l'ion moléculaire à l'origine de cette coloration indique que le centre coloré responsable est constitué d'un ion moléculaire O3- qui se substitue à deux ions fluor voisins. La couleur jaune est relativement stable thermiquement, et est détruite en deux jours à 320°C (Figure 6), à comparer à une stabilité de quelques minutes pour la couleur bleue à cette température. Contrairement à la plupart des autres colorations de la fluorine, la couleur jaune ne peut être reproduite expérimentalement. Le processus de décoloration thermique des fluorines jaunes est donc irréversible.
Lorsque les cristaux de fluorines sont chauffés, et parfois simplement exposés à la lumière du jour, ils se décolorent de façon généralement réversible. Les couleurs les plus stables thermiquement sont les couleurs les plus intenses, mauve, violet ou bleu foncé, en relation avec la présence de colloïdes de calcium. Les moins stables sont les fluorines de couleur bleu clair et leur présence ne peut être expliquée que par une irradiation récente. Les autres colorations mentionnées plus haut sont stables à température ambiante sur des durées géologiques : il s'agit donc de colorations primaires, pouvant avoir été créées pendant la croissance du cristal. En étudiant la cinétique de décoloration des fluorines, il est possible de les utiliser comme indicateurs de la température maximale au-delà de laquelle le système géologique dans lequel a été échantillonné le cristal n'a pu être porté sans que les cristaux soient décolorés. La confrontation avec les valeurs de température de formation des cristaux, données par les inclusions fluides, permet de disposer de plusieurs paramètres concernant l'histoire thermique du filon. Dans le cas des fluorines jaunes de Valzergues (Aveyron), formées à 130-140°C, on a pu ainsi montrer que le filon n'a pas pu être porté au-delà de 220°C, température au-dessus de laquelle la coloration est détruite de façon irréversible. La vitesse minimum de refroidissement du filon a été de 10-2 °C par an. On peut noter que dans ces conditions, la coloration bleue observée dans de nombreux échantillons de ce gisement serait ainsi détruite en quelques jours à la température de formation des fluorines, ce qui montre bien leur origine secondaire, liée à une irradiation plus récente. Les dégâts d'irradiation dans les minéraux permettent ainsi de donner des indications précieuses sur l'histoire d'un échantillon.
|
edelweis
web concept
|
E.
Guillou© 2000-2017
|
12/03/08
|